Mes 4 saisons préférées (et plus si affinités)

A Sandrine

Mes quatre saisons préférées et plus si affinités

Elle est charmante avec cette blondeur appétissante qui lui fait des fossettes partout et lui boucle les cheveux. Ses gestes ? Voluptueux et vifs, même lorsqu’elle dort. Sa voix ? Si douce à entendre que j’ai l’impression de goûter ces dattes provenant des sables brodés d’oasis aux noms rêveurs, Nefta, Tozeur, Douz. J’aimerais tant voir les caravanes. Certes, il me faudrait une transformation disons… radicale.

Mais l’heure n’est pas à ces propos frivoles et je ne suis pas sûre du tout que ma maîtresse accepterait de me suivre. Oui ! Parce qu’elle, elle est ma caravanière en quelque sorte, mon capitaine, mon guide suprême, bref ma patronne.
D’ailleurs l’été dernier nous avons failli avoir quelques différends. Son titre lui donne des droits que je ne peux revendiquer et c’est avec bonheur que je pose à ses pieds toutes mes forces. Nous étions là à ronronner sous une chaleur comme je les aime et mon dos en frémissait d’aise. Si j’avais pu j’aurais même étalé mes côtés et mon ventre plat pour me gorger du moindre rayon de soleil. Elle, elle était à l’ombre ; elle déteste les températures trop élevées. Nous en avons maintes fois discuté mais en vain, et je ne crois même pas qu’elle comprenne ma situation. Tant d’humidité, et depuis si longtemps !
Le téléphone a sonné. Dans le quart d’heure qui a suivi elle avait mis en route les machines et là, elle commet la fausse manoeuvre par excellence. Nous partons en arrière alors qu’elle pensait aller de l’avant !
Après j’ai bien vu qu’elle en parlait avec des rires dans les doigts, mais je la savais bouleversée à l’idée du risque que nous avions couru. Dehors l’eau frisottait des éclats de miroirs puis le soir le coucher de soleil a été particulièrement réussi. Ça lui a mis du baume au coeur. Le vin aussi, qu’elle partageait avec ses amis. On dit qu’il faut toujours de l’alcool pour apaiser les grandes frayeurs.
Par contre pour tout vous dire, le jour où je me suis éloignée doucement alors qu’elle n’était plus avec moi, je reconnais que j’y ai mis un peu de malice. C’était drôle de voir l’affolement la gagner tandis qu’elle voulait tant donner l’impression de calme. Remarquez je ne serais pas allée très loin mais elle tremblait de honte. Nous n’étions pas seuls vous comprenez. Un petit vent tiède caressait les arbres à rebrousse poil, des gens s’étaient arrêtés et regardaient la scène sans se douter de son impuissance et de son humiliation. Elle n’aurait pas du me quitter comme ça c’est certain, mais elle n’a pas réfléchi. Ce sont des choses qui arrivent.L’automne a été pénible pour nous deux. J’avais des problèmes de santé et plutôt graves. Il a fallu que je me mette au vert et j’ai manqué tout ce que j’aime pendant cette saison, la coloration des feuilles qui s’abandonnent et se parent d’or, le bruit que fait alors chacune d’elle quand elle tombe poussée par une brise fraîche, leur lente dérive hasardeuse s’échouant pour repartir parfois vers d’autres horizons. Non, décidément, ce fut une mauvaise période.
Elle, elle n’a cessé de rouspéter chaque fois qu’elle jugeait excessive les demandes d’argent nécessaire à mes soins. Mais elle m’a dorloté avec une telle tendresse ! Ce souvenir me bouleverse toujours.

L’hiver venu, nous avions retrouvé nos marques. Elle a repris à bras-le-corps le piano et il est probable qu’elle a fait d’énormes progrès. Requinquée par ses soins je me suis préparée à affronter pluies et frimas. Les brouillards passaient par gros convois glacés jusque fort tard dans la matinée et parfois même s’accumulaient autour de moi en couettes cotonneuses qui m’emmitouflaient de près. J’aurais eu cependant mauvaise grâce à me plaindre de la froidure après tout le temps et l’argent qu’elle m’avait consacrés. Puis elle sortait beaucoup, me confiant au clair de lune ou aux pluies de la nuit. Souvent aussi, alors que l’eau s’écoulait en aplats gris sans trame ni traits pendant de longues heures elle travaillait, et moi je retenais ma respiration pour ne pas la déranger.

L’arrivée du printemps se prépare en douce. Je sens des frémissements dans l’air qui m’apportent des senteurs timides et tendres. L’eau en palpitations mutines vient butiner le long de mes flancs et je rêve parfois de ces voyages qui nous conduisaient, le ventre lesté de chargements lourds sur le canal du Midi dans la touffeur de l’été. La tâche était rude. Maintenant je suis une vraie demoiselle de compagnie et j’emmènerai ma caravanière, mon capitaine, mon guide suprême, bref ma patronne là où elle voudra. Elle a de si jolies fossettes.

Signé : Paname (nom de la péniche de Sandrine)

Françoise Chauvelier, 7 décembre 2005

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Une Réponse to “Mes 4 saisons préférées (et plus si affinités)”

  1. Rebecca Tepfer Says:

    Chère Françoise,

    Je lis tes nouvelles toujours, et toujours avec intéret et admiration. J’ai bien aimée les deux dernières, ´crite du point de vue d’une bouteille et d’une péniche!

    Bravo! Continue!

    Bisous, Becky

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